AXE 4
Changements globaux et conservation
Animateurs
DAJOZ Isabelle (IEES, Univ. Paris XII) – HENRY Mickaël (INRAE, Avignon)
État de l’art
Les activités anthropiques ont de très forts impacts sur la biodiversité des communautés d’espèces et sur leur environnement ; ceci a des conséquences importantes sur les réseaux d’interactions entre espèces et les fonctions écologiques qui en découlent (Alberti 2015). La fonction de pollinisation est au centre de ces préoccupations, de par son rôle clef dans le maintien de la biodiversité des communautés de plantes à fleurs ainsi que dans la production agricole. Cependant, les connaissances scientifiques restent encore trop limitées pour prédire la réponse des fonctions écologiques aux perturbations induites par les changements globaux. Cette lacune provient souvent du fait que les études existantes se sont focalisées sur le maintien ou la réintroduction d’espèces isolées, alors que les propriétés fonctionnelles des écosystèmes dépendent de groupes d’espèces, voire des communautés dans leur ensemble. Dans le contexte actuel des changements globaux, il est donc fondamental de mieux comprendre le fonctionnement et les capacités d’adaptation des réseaux d’interactions plantes-pollinisateurs face aux pressions anthropiques et aux modifications de l’environnement qui en découlent (Walther et al. 2002). Ceci est d’autant plus important qu’il est admis par l’ensemble de la communauté scientifique qu’une crise des pollinisateurs se développe, caractérisée par le déclin récent et simultané des populations d’insectes pollinisateurs et des plantes qui en dépendent pour leur reproduction (Biesmeijer et al. 2006 ; Potts et al. 2010, Burkle et al. 2013 ; Tylianakis 2013).
Plusieurs composantes des changements globaux sont incriminées dans ce déclin des pollinisateurs :
- La fragmentation et la perte des habitats de reproduction et de nourrissage. Les moteurs principaux en sont l’urbanisation (Harrison & Winfree 2015) et l’intensification de l’agriculture (Carvalheiro et al. 2011), la simplification des paysages ruraux et la raréfaction des milieux semi-naturels (Garibaldi et al. 2011), mais ces points sont actuellement controversés (Fortel et al. 2014 ; Potts et al. 2011).
- L’industrialisation croissante de l’agriculture, avec un impact délétère des pesticides et autres intrants sur les populations de pollinisateurs domestiques (Henry et al. 2015) et sauvages (Rundlöf et al. 2015), ainsi qu’un impact négatif des cultures à floraison massive sur les populations de pollinisateurs et de plantes sauvages (Holzschuh et al. 2011).
- Les changements climatiques qui induisent des décalages de phénologie des communautés végétales et des pollinisateurs (Memmott 2007). Ces changements climatiques sont couplés aux effets de l’urbanisation sur le climat (ilots de chaleur urbains et péri-urbains) et sur les populations de pollinisateurs Harrison & Winfree 2015). Mais très peu d’études existent en ce qui concerne leur impact sur la fonction de pollinisation (Rafferty et al. 2011).
- Enfin, de nombreuses pratiques émergentes de gestion peuvent avoir un impact fort sur la fonction de pollinisation (Geslin et al. 2017). Parmi ces dernières, citons les modifications de composition des communautés végétales liées à l’expansion des communautés fleuries, les introductions de pollinisateurs à des fins agricoles, et les introductions massives de pollinisateurs domestiques dans des milieux qui en étaient auparavant dépourvus, tels que les villes ou les espaces naturels protégés. Tous ces points sont cependant l’objet de vives controverses (revu par Geslin et al. 2017).
Objectifs de l’axe 4
- À ce jour, nos connaissances sur les rôles respectifs de ces différents facteurs dans la crise des pollinisateurs demeurent soit fragmentaires, soit sujettes à des controverses qu’il faut éclaircir. Ainsi, deux orientations se dégagent en ce qui concerne les thèmes de recherches de cet axe que le GDR aura pour objectif de stimuler :
La nécessité de mieux comprendre l’impact des changements globaux sur les communautés de pollinisateurs et la fonction de pollinisation. Nos connaissances sont encore trop imprécises pour comprendre et anticiper la réponse de ces communautés et de cette fonction aux changements globaux. Comme mentionné précédemment, ces controverses existent sur les points suivants :
– Quel impact de l’urbanisation et des nouvelles pratiques de gestion des communautés plantes-pollinisateurs (introductions de pollinisateurs domestiques, de communautés fleuries, transmissions de maladies à la faune pollinisatrice sauvage).
– Connaissances très fragmentaires sur l’impact du changement climatique sur la pollinisation. Existe-il un décalage de phénologie entre les plantes et les pollinisateurs ? Comment évolue ce décalage ? Quels en sont les conséquences ? Les ressources florales sont-elles modifiées et comment de tels changements influencent-ils les interactions avec les pollinisateurs ?
– Quelles sont les conséquences des nouvelles pratiques de gestion agricole ? La très vive controverse sur l’impact des pesticides en milieux agricoles souligne le besoin d’obtenir davantage de données, notamment en ce qui concerne la faune sauvage. - La nécessité de proposer des mesures de conservation-réhabilitation qui tiennent compte des contraintes et lacunes exposées ci-dessus, et qui s’appuieront sur les nouveaux résultats obtenus par le GDR POLLINÉCO. Dans cette optique, il sera fondamental que ce GDR promeuve des ponts entre les chercheurs, les gestionnaires d’espaces naturels et les associations naturalistes. Ceci passera par la mise en place de réseaux de collaborateurs naturalistes, afin d’établir des protocoles de recherche in-situ ciblés sur d’autres espèces que l’abeille domestique (Apis mellifera). Le GDR pourra également promouvoir la mise en place d’un réseau de suivi sur le terrain, afin d’approfondir nos connaissances au niveau des espèces et pas seulement des communautés. Ceci permettra de déterminer si les populations et/ ou les espèces sont dans des vortex d’extinction, nos connaissances étant très fragmentaires dans ce domaine (Nieto et al. 2014).
De manière générale, la conservation de la diversité des pollinisateurs sauvages dans le contexte des changements globaux est un objectif en soi (Klein et al. 2014), mais contribue également à la préservation de la flore patrimoniale, à la production de nombreuses petites cultures vivrières et au maintien des milieux agricoles isolés et insulaires. Enfin, la conservation des pollinisateurs doit répondre à une demande sociétale et politique très forte (IPBES 2016).
Les 5 axes
— Brèves —
- Appel à candidatures d’experts pour la constitution du Comité Scientifique et Technique de la stratégie Écophyto 2030L’ANSES avec Le MET, l'INRAe et l’OFB lancent maintenant un « Appel à candidatures d’experts pour la constitution du Comité Scientifique et Technique de la stratégie Écophyto 2030 » Pour plus d'informations, vous pouvez consulter le document suivant : https://www.inrae.fr/sites/default/files/cst_ecophyto_appel_a_candidatures_2024.pdf Date limite : 31/10/2024 avant minuit (heure de Paris)
- Un demi-million de morts par an seraient attribuables au déclin des insectes pollinisateursDes chercheurs de l’université Harvard ont modélisé l’impact du défaut de pollinisation sur la production agricole, les prix et les effets induits sur l’alimentation et la santé. Si les scientifiques chiffrent souvent en dollars les dégradations de l’environnement, leurs effets sanitaires, de fait, sont souvent bien plus difficiles à évaluer. Une équipe pilotée par l’université Harvard (Etats-Unis) s’est attelée à cet exercice délicat, s’agissant des effets de l’effondrement des insectes pollinisateurs. Publiés dans la dernière livraison de la revue Environmental Health Perspectives, en décembre 2022, ses résultats sont frappants : à l’échelle mondiale, l’impact alimentaire du défaut de pollinisation des cultures serait responsable de près d’un demi-million de morts prématurées par an. Un chiffre sans doute en deçà de la réalité, selon les auteurs. Ces derniers ont d’abord évalué, région par région, les effets de la chute des populations de pollinisateurs sauvages (bourdons, syrphes, papillons, etc.) sur la production agricole. « Leurs résultats indiquent que de 3 % à 5 % de la production de fruits, légumes et fruits à coque sont perdus en raison d’une pollinisation insuffisante », décrypte Josef Settele (Helmholtz Centre for Environmental Research de Halle, Allemagne), qui n’a pas participé à ces travaux. Des chiffres « tout à fait plausibles et même plutôt faibles, compte tenu de ce que l’on sait sur l’importance de la pollinisation ». Le chercheur allemand, qui a coprésidé le rapport mondial de la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, salue « une très belle étude, qui intègre de grandes quantités de données dans un modèle transparent ». Les chercheurs ont ensuite modélisé l’effet de cette perte de production sur les prix, pays par pays, et l’effet induit sur la baisse de consommation de fruits et légumes. En utilisant les données les plus consensuelles de l’épidémiologie nutritionnelle, les auteurs sont parvenus à modéliser l’impact de la sous-consommation de ces produits sur la mortalité, et concluent à quelque 427 000 morts par an.
Impacts inégalement distribués
Or, comme le précise Matthew Smith (université Harvard), premier auteur de l’étude, les données utilisées pour estimer le défaut de pollinisation ont été collectées, sur les cinq continents, entre 2010 et 2014. « Depuis, la plupart des pressions causant des pertes de pollinisateurs sauvages ont continué ou se sont aggravées au niveau mondial, dit-il. Cela suggère que l’insuffisance de la pollinisation sauvage a aujourd’hui sur le rendement des cultures un effet plus important encore que nous ne l’avons estimé dans nos travaux. » Les impacts sont inégalement distribués. « La perte de production agricole est concentrée dans les pays à faible revenu, dit M. Settele, tandis que les impacts sur la consommation alimentaire et sur la mortalité attribuables à une pollinisation insuffisante sont plus importants dans les pays à revenu moyen et élevé, où les taux de maladies non transmissibles [cancers, maladies cardiovasculaires, etc.] sont plus élevés. » En clair, les auteurs montrent qu’« une part importante du fardeau sanitaire lié à la consommation insuffisante des aliments les plus sains est liée à des dommages que nous infligeons à notre environnement », ajoute M. Settele. Comment arbitrer entre les pertes de rendement par réduction des pesticides et celles qui sont induites par l’effondrement des pollinisateurs ? « L’agriculture conventionnelle a de nombreuses conséquences involontaires sur l’environnement : émissions considérables de gaz à effet de serre, pollution des sols et des cours d’eau, épuisement de ressources limitées comme les minéraux pour les engrais et l’eau douce pour l’irrigation, et c’est le principal facteur de perte de biodiversité au niveau mondial, répond M. Smith. Au contraire, favoriser les pollinisateurs sauvages pour augmenter le rendement des cultures n’a aucun dommage collatéral sur l’environnement. » Stéphane Foucart https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/01/20/un-demi-million-de-morts-par-an-seraient-attribuables-au-declin-des-insectes-pollinisateurs_6158647_3244.html Lien vers article https://doi.org/10.1289/EHP10947 Matthew R. Smith,Nathaniel D. Mueller, Marco Springmann, Timothy B. Sulser, Lucas A. Garibaldi, James Gerber, Keith Wiebe, and Samuel S. Myers 2022 Pollinator Deficits, Food Consumption, and Consequences for Human Health: A Modeling Study. Environmental Health Perspectives Volume 130, Issue 12 - Prolongation autorisation néonicotinoïdes sur les betteravesVous êtes d'accord avec l'usage des néonicotinoïdes sur les betteraves sucrières ? Vous voulez donner votre avis? Une consultation publique est en cours jusqu’au 24 janvier : https://formulaires.agriculture.gouv.fr/index.php/646927
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